Réponse à la réplique de M. l'abbé Chesnel dans l'Univers
Le journal l'Univers a inséré, dans son numéro du 28 mai dernier, la réponse que nous avons faite à l'article de M. l'abbé Chesnel sur le spiritisme, et l'a fait suivre d'une réplique de ce dernier. Ce second article reproduisant tous les arguments du premier, moins l'urbanité des formes à laquelle tout le monde s'était plu à rendre justice, nous n'y pourrions répondre qu'en répétant ce que nous avons déjà dit, ce qui nous paraît complètement inutile. M. l'abbé Chesnel s'efforce toujours de prouver que le spiritisme est, doit être et ne peut être qu'une religion nouvelle, parce qu'il en découle une philosophie, et qu'on s'y occupe de la constitution physique et morale des mondes. A ce compte, toutes les philosophies seraient des religions. Or, comme les systèmes abondent et qu'ils ont tous des partisans plus ou moins nombreux, cela rétrécirait singulièrement le cercle du catholicisme. Nous ne savons pas jusqu'à quel point il n'est pas imprudent et dangereux d'émettre une telle doctrine ; car c'est proclamer une scission qui n'existe pas ; c'est au moins en donner l'idée. Voyez un peu à quelle conséquence vous arrivez. Lorsque la science est venue contester le sens du texte biblique des six jours de la création, on a crié à l'anathème, on a dit que c'était attaquer la religion ; aujourd'hui, que les faits ont donné raison à la science, qu'il n'y a pas plus moyen de les contester que de nier la lumière, l'Eglise s'est mise d'accord avec la science. Supposons qu'alors on eût dit que cette théorie scientifique était une religion nouvelle, une secte, parce qu'elle paraissait en contradiction avec les livres sacrés, qu'elle renversait une interprétation donnée depuis des siècles, il en serait résulté qu'on ne pouvait être catholique et adopter ces idées nouvelles. Songez donc à quoi se réduirait le nombre des catholiques, si l'on en retranchait tous ceux qui ne croient pas que Dieu a fait la terre en six fois vingt-quatre heures !
Il en est de même du spiritisme ; si vous le regardez comme une religion nouvelle, c'est qu'à vos yeux il n'est pas catholique. Or, suivez bien mon raisonnement. De deux choses l'une : ou c'est une réalité, ou c'est une utopie. Si c'est une utopie, il n'y a pas à s'en préoccuper, parce qu'il tombera de lui-même ; si c'est une réalité, toutes les foudres ne l'empêcheront pas d'être, pas plus qu'elles n'ont jadis empêché la terre de tourner. S'il y a véritablement un monde invisible qui nous entoure, si l'on peut communiquer avec ce monde et en obtenir des renseignements sur l'état de ceux qui l'habitent, et tout le spiritisme est là dedans, avant peu cela paraîtra aussi naturel que de voir le soleil en plein midi ou de trouver des milliers d'êtres vivants et invisibles dans une goutte d'eau limpide ; cette croyance deviendra si vulgaire que vous-même serez forcé de vous rendre à l'évidence. Si, à vos yeux, cette croyance est une religion nouvelle, elle est en dehors du catholicisme ; car elle ne peut être à la fois la religion catholique et une religion nouvelle. Si, par la force des choses et de l'évidence, elle devient générale, et il ne peut en être autrement si c'est une des lois de la nature, à votre point de vue il n'y aura plus de catholiques, et vous-même ne serez plus catholique, car vous serez forcé de faire comme tout le monde. Voilà, monsieur l'abbé, le terrain sur lequel nous entraîne votre doctrine, et elle est si absolue que vous me gratifiez déjà du titre de grand-prêtre de cette religion, honneur dont, vraiment, je ne me doutais guère. Mais vous allez plus loin : selon vous, tous les médiums sont les prêtres de cette religion. Ici je vous arrête au nom de la logique. Il m'avait semblé jusqu'à présent que les fonctions sacerdotales étaient facultatives, qu'on n'était prêtre que par un acte de sa propre volonté, qu'on ne l'était pas malgré soi et en vertu d'une faculté naturelle. Or la faculté des médiums est une faculté naturelle qui tient à l'organisation, comme la faculté somnambulique ; qui ne requiert ni sexe, ni âge, ni instruction, puisqu'on la rencontre chez les enfants, les femmes et les vieillards, chez les savants comme chez les ignorants. Comprendrait-on que de jeunes garçons et de jeunes filles fussent des prêtres et des prêtresses sans le vouloir et sans le savoir ? En vérité, M. l'abbé, c'est abuser du droit d'interpréter les mots. Le spiritisme, comme je l'ai dit, est en dehors de toutes les croyances dogmatiques, dont il ne se préoccupe pas ; nous ne le considérons que comme une science philosophique qui nous explique une foule de choses que nous ne comprenons pas, et par cela même, au lieu d'étouffer en nous les idées religieuses, comme certaines philosophies, les fait naître chez ceux en qui elles n'existent pas ; mais si voulez à toute force l'élever au rang d'une religion, vous le poussez vous-même dans une voie nouvelle. C'est ce que comprennent parfaitement beaucoup d'ecclésiastiques qui, loin de pousser au schisme, s'efforcent de concilier les choses, en vertu de ce raisonnement : si les manifestations du monde invisible ont lieu, ce ne peut être que par la volonté de Dieu, et nous ne pouvons pas aller contre sa volonté, à moins de dire que, dans le monde, quelque chose arrive sans sa permission, ce qui serait une impiété. Si j'avais l'honneur d'être prêtre, je m'en servirais en faveur de la religion ; je m'en ferais une arme contre l'incrédulité, et je dirais aux matérialistes et aux athées : Vous demandez des preuves ? Ces preuves, les voici : c'est Dieu qui les envoie.